22 juin 2021 - 06:42
Alstom quittera Sorel-Tracy d’ici décembre 2021
« Ils n’ont pas respecté leurs engagements » – Pierre-Luc Pigeon-Rivard, président syndical
Par: Jean-Philippe Morin

Le président du Syndicat des travailleurs d’Alstom transports de Sorel-Tracy, Pierre-Luc Pigeon-Rivard, dénonce la décision de l’entreprise de quitter la ville d’ici la fin de 2021, ce qui provoquera le départ de 91 employés bien rémunérés de la région. Photo Jean-Philippe Morin | Les 2 Rives ©

C’est avec colère et déception que les 91 travailleurs d’Alstom à Sorel-Tracy ont accueilli, le 16 juin, la fermeture de l’usine du parc Ludger-Simard d’ici décembre prochain.

Alors qu’ils s’étaient fait promettre de nouveaux contrats à l’usine soreloise, c’est plutôt le contraire qui s’est produit, dénonce le président du Syndicat des travailleurs d’Alstom transports de Sorel-Tracy, Pierre-Luc Pigeon-Rivard.

« Le problème, c’est que quand il y a eu la transaction entre Alstom et Bombardier il y a quelques mois, l’entreprise s’était engagée à amener des contrats à Sorel-Tracy pour garder la pérennité de l’usine. On voit très bien aujourd’hui qu’ils n’ont pas respecté leurs engagements. Ce sont de bonnes jobs que la région perd », constate-t-il, en ajoutant que ses membres sont à la fois déçus et frustrés de la situation.

Les 91 employés travaillent présentement sur plusieurs contrats, dont celui des bogies des trains Azur du métro de Montréal. Or, comme ce contrat tire à sa fin, une quinzaine de mises à pied avaient déjà été réalisées par Alstom vers la fin du mois d’avril.

Présentement, les travailleurs terminent les bogies pour les véhicules légers sur rails Citadis Spirit d’Ottawa et de Metrolinx (Toronto) et aussi des pièces mécanosoudées pour un projet aux États-Unis. Toutefois, ces autres contrats se terminent aussi bientôt, si bien que tous les employés auront quitté l’usine soreloise d’ici le début décembre.

« Déjà que l’ambiance n’était pas bonne en raison de l’incertitude autour du manque de contrats, c’est venu s’empirer. On voyait bien qu’on ne nous donnait pas d’autres contrats. Ça fait un an et demi qu’on manque de pièces, on le sentait venir un peu, mais c’est vraiment arrivé d’un seul coup, sans prévenir », dénonce le président syndical.

Mises à pied ou relocalisation?

Du côté d’Alstom, la porte-parole Taïssa Hrycay soutient que l’entreprise a loué cet atelier la Ville de Sorel-Tracy, en 2013, spécifiquement pour le projet de bogies des voitures de métro Azur de la Société de transport de Montréal. Or, comme la phase 2 de ce projet se termine d’ici la fin de 2021, Alstom n’a donc pas renouvelé le bail avec la Ville de Sorel-Tracy.

« Malgré plusieurs efforts, nous n’avons pas réussi à augmenter la charge de travail, ce qui aurait prolongé le cycle de vie initialement prévu de cet atelier. Compte tenu de la nature cyclique de notre industrie ferroviaire, et pour sécuriser l’expertise et les compétences développées localement au fil des années, il a donc été décidé de consolider toutes les activités commerciales actuelles à Sorel-Tracy à nos sites à La Pocatière et à Saint-Bruno », indique Mme Hrycay, par courriel.

Selon la porte-parole, environ le tiers des quelque 90 travailleurs envisagent un futur chez Alstom une fois que les engagements actuels seront complétés à cet atelier. « Nous travaillons en étroite collaboration avec nos employés et autres parties prenantes affectées afin d’atténuer les impacts. Notre objectif est de transférer le plus grand nombre d’employés possible à d’autres emplacements au sein de l’organisation », soutient Mme Hrycay.

Or, rétorque le président syndical, les travailleurs ne pourront pas travailler à Saint-Bruno. « Les employés ici sont des soudeurs et des monteurs, alors qu’à Saint-Bruno, ce sont des bureaux. Nos syndiqués devront donc aller à La Pocatière, dans le Bas-Saint-Laurent, s’ils veulent continuer à travailler pour Alstom. Je sais qu’ils vont nous offrir un montant pour qu’on puisse rester jusqu’en décembre afin d’honorer nos contrats restants, mais plusieurs de mes collègues sont déjà en recherche d’emplois pour partir. On a des familles ici, je ne pense pas que beaucoup de personnes vont aller à La Pocatière », souligne Pierre-Luc Pigeon-Rivard.

Selon le président de la FIM-CSN Louis Bégin, qui représente aussi les travailleurs d’Alstom, cette fermeture aurait pu être évitée. « Le rendez-vous manqué pour Alstom de Sorel, c’est le contrat du REM qui a été donné à l’Inde. À ce moment, le gouvernement aurait dû mettre son pied à terre pour que ces contrats nous soient octroyés », dénonce M. Bégin, qui a aussi demandé à la Caisse de dépôt et placement du Québec, le plus important actionnaire d’Alstom depuis la transaction avec Bombardier, de s’expliquer.

C’est que la Caisse de dépôt et placement du Québec avait également annoncé il y a quelques mois que l’expansion des activités des sites de La Pocatière et Sorel-Tracy était dans les plans. Or, selon un porte-parole, Alstom respecte ses engagements puisque ses activités sont actuellement « en croissance » au Québec. « Il y a une centaine de postes en recrutement actuellement, plus que le nombre de postes dont il est question à Sorel, a-t-il expliqué à La Presse. On sent une réelle volonté d’Alstom de relocaliser un maximum de personnes. »

La porte-parole d’Alstom abonde dans le même sens. « Possédant la seule usine de fabrication de matériel roulant au Québec, Alstom a une présence importante et croissante dans la province. Nous cherchons actuellement à combler plus de 140 postes vacants pour les contrats de maintenance et d’exploitation pour nos clients, une occasion de rejoindre 340 employés actuellement à notre site industriel de La Pocatière et 1100 employés à notre siège social de la région des Amériques à Saint-Bruno et dans la grande région de Montréal », conclut Taïssa Hrycay.

« On a oublié Sorel-Tracy dans l’équation » – le maire Serge Péloquin

Le maire de Sorel-Tracy, Serge Péloquin, ne cache pas sa colère et sa déception à la suite de la décision d’Alstom de ne pas renouveler son bail dans le parc industriel Ludger-Simard.

«Une question demeure sans réponse : quand va-t-on mettre autant d’énergie à Sorel-Tracy qu’à La Pocatière? », demande-t-il, en faisant référence au prêt pardonnable de 56 M$ octroyé par le gouvernement du Québec à l’usine d’Alstom au Bas-Saint-Laurent.

« On a complètement oublié de mettre Sorel-Tracy dans l’équation. Le 29 janvier, le directeur général d’Alstom m’a écrit une lettre en me disant «avoir hâte de se rendre dans notre région pour discuter davantage des plans spécifiques à nos installations chez vous«. Il voyait un futur à Sorel-Tracy et du jour au lendemain, bang! Cette nouvelle nous arrive sur la gueule, sans trop d’explications », déplore-t-il, en ayant une pensée pour les travailleurs qui se sont investis pour une carrière dans la région.

Maintenant que la nouvelle est annoncée, Serge Péloquin aimerait discuter non seulement avec l’entreprise, mais avec le gouvernement du Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec et les employés.

« Est-ce qu’on peut s’asseoir et discuter pour exiger du contenu local avec un pourcentage beaucoup plus élevé comme le font d’autres pays? Est-ce qu’on peut accélérer les projets canadiens et québécois en mobilité et en transport collectif? Est-ce qu’on pourrait donner le GO pour la fabrication d’autres bogies pour le métro de Montréal? Une phase 3 était à venir, ça permettrait de maintenir les emplois. On peut les fabriquer et les entreposer le temps que la Société de transport de Montréal se rende à la phase 3. Il faut se mettre en mode solutions et je veux en discuter avec eux », conclut le maire de Sorel-Tracy.

Un comité de crise formé

Le député de Richelieu, Jean-Bernard Émond, accueille la décision d’Alstom comme une grande déception.

« Un comité de crise a été mis en place afin d’analyser toutes les possibilités dans ce dossier. J’ai également échangé avec le président du syndicat et j’ai une pensée particulière pour les employés qui traversent une grande période d’incertitude », souligne le député.

Ce comité regroupera autant des acteurs politiques qu’économiques.

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